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Alors, lui, le marcheur qui baisse les paupières,
Il s'arrêta, sévère et triste, et dit à Dieu :
— Dieu ! sous votre ciel calme et dans cet âpre lieu
Où le vent vient gronder et l'apôtre se taire,
Dans ce désert voisin d'Horeb, je vois à terre
Quelque chose qui fut un homme, et qui vivait.
C'était un mage ; il eut debout à son chevet,
Tout le temps qu'il vécut, votre esprit formidable ;
Et votre esprit parlait à son âme ; et le sable,
Et la poussière, et l'eau qui coule du rocher,
N'ont jamais empêché ses pieds nus de marcher ;
Il passait les torrents et traversait les plaines ;
Il était sur la terre une de vos haleines ;
Il parlait au pontife, au scribe, au juge, au roi,
Et sa bouche soufflait sur eux le vaste effroi ;
Il ne ménageait pas non plus la sombre foule ;
Il passait, dispersant sa parole, et la houle
A le même frisson sous la trombe, et le bois
Sous l'orage indigné, que l'homme sous sa voix.
Du moins ce fut ainsi tant que vécut ce mage.
En bas son âme, en haut l'astre, étaient du même âge,
Et le peuple à ses pieds songeait dans la cité
Quand il parlait au gouffre avec fraternité.
Si bien que maintenant le voici dans cette herbe.
Le peuple est trop obscur, le prêtre est trop superbe
Pour se laisser longtemps crier par un passant