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La jeunesse a perdu l'élan qui la gonflait ;
Le tocsin ne fait plus dresser la sentinelle,
Ce fauve oiseau qui bat les cloches de son aile
Est cloué sur la porte obscure du beffroi ;
Oui, sire, aux mauvais jours, sous quelque méchant roi
Féroce, quoique vil, et, quoique lâche, rude,
Toute une nation se change en solitude ;
L'échine et le bâton semblent être d'accord,
L'un frappe et l'autre accepte ; et le peuple a l'air mort ;
On mange, on boit ; toujours la foule, plus personne ;
Les âmes sont un sol aride où le pied sonne ;
Les foyers sont éteints, les cœurs sont endormis ;
Rois, voyant ce sommeil, on se croit tout permis.
Ah ! la tourbe est ignoble et l'élite est indigne.
De l'avilissement l'homme porte le signe.
L'air tiède et mou, le temps qui passe, la gaîté,
Les chants, l'oubli des morts, tout est complicité ;
Tous sont traîtres à tous, et la foule se rue
À traîner les vaincus par les pieds dans la rue ;
Le silence est au fond de tout le bruit qu'on fait ;
On est prêt à baiser Satan s'il triomphait ;
Le mal qui réussit devient digne d'estime ;
L'applaudissement suit, la chaîne au cou, le crime,
Que la libre huée a d'abord précédé ;
On voit — car le malheur lui-même dégradé
Abdique la colère et se couche et se vautre,
Dans l'espoir d'avoir part au pillage d'un autre —
Les extorqués faisant cortége aux extorqueurs.