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Et cette ville était un lieu plein de démence
Que parfois menaçait de loin un blême éclair.
On voyait une plaine où l’on voit une mer ;
Alors c’étaient des chars qui passaient, non des barques ;
Les ouragans ont pris la place des monarques ;
Car pour faire un désert, Dieu, maître des vivants,
Commence par les rois et finit par les vents.
Ce peuple, voix, rumeurs, fourmillement de têtes,
Troupeau d’âmes, ému par les deuils et les fêtes,
Faisait le bruit que fait dans l’orage l’essaim,
Point inquiet d’avoir l’Océan pour voisin.

Donc cette ville avait des rois ; ces rois superbes
Avaient sous eux les fronts comme un faucheur les herbes.
Étaient-ils méchants ? Non. Ils étaient rois. Un roi
C’est un homme trop grand que trouble un vague effroi,
Qui, faisant plus de mal pour avoir plus de joie,
Chez les bêtes de somme est la bête de proie ;
Mais ce n’est pas sa faute, et le sage est clément.
Un roi serait meilleur s’il naissait autrement ;
L’homme est homme toujours ; les crimes du despote
Sont faits par sa puissance, ombre où son âme flotte,
Par la pourpre qu’il traîne et dont on le revêt,
Et l’esclave serait tyran s’il le pouvait.