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La sibylle leur livre à travers ses barreaux
Le secret de la foudre en ses vers fulguraux,
Car cette louve sait le fatal fond des choses ;
Toute la terre tremble à leurs métamorphoses ;
La forêt, où le jour pâle pénètre peu,
Quand elle voit un monstre a peur de voir un dieu.
Quelle joie ils se font avec l’univers triste !
Comme ils sont convaincus que rien hors d’eux n’existe !
Comme ils se sentent forts, immortels, éternels !
Quelle tranquillité d’être les criminels,
Les tyrans, les bourreaux, les dogmes, les idoles !
D’emplir d’ombre et d’horreur les pythonisses folles,
Les ménades d’amour, les sages de stupeur !
D’avoir partout pour soi l’autel noir de la peur !
D’avoir l’antre, l’écho, le lieu visionnaire,
Tous les fracas depuis l’Etna jusqu’au tonnerre,
Toutes les tours depuis Pharos jusqu’à Babel !
D’être, sous tous les noms possibles, Dagon, Bel,
Jovis, Horus, Moloch et Teutatès, les maîtres !
D’avoir à soi la nuit, le vent, les bois, les prêtres !
De posséder le monde entier, Éphèse et Tyr,
Thulé, Thèbe, et les flots dont on ne peut sortir,
Et d’avoir, au delà des colonnes d’Hercule,
Toute l’obscurité qui menace et recule !
Quelle toute-puissance ! effarer le lion,
Dompter l’aigle, poser Ossa sur Pélion,
Avoir, du cap d’Asie aux pics Acrocéraunes,
Toute la mer pour peuple et tous les monts pour trônes,