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L’églogue souriait dans la forêt ; les tombes
S’entr’ouvraient pour laisser s’envoler des colombes ;
L’arbre était sous le vent comme un luth sous l’archet ;
L’ourse allaitait l’agneau que le lion léchait ;
L’homme avait tous les biens que la candeur procure ;
On ne connaissait pas Plutus, ni ce Mercure
Qui plus tard fit Sidon et Tharsis, et sculpta
Le caducée aux murs impurs de Sarepta ;
On ignorait ces mots, corrompre, acheter, vendre.
On donnait. Jours sacrés ! jours de Rhée et d’Évandre !
L’homme était fleur ; l’aurore était sur les berceaux.
Hélas ! au lait coulant dans les champs par ruisseaux
A succédé le vin d’où sortent les orgies ;
Les hommes maintenant ont des tables rougies ;
Le lait les faisait bons et le vin les rend fous ;
Atrée est ivre auprès de Thyeste en courroux ;
Les Centaures, prenant les femmes sur leurs croupes,
Frappent l’homme, et l’horreur tragique est dans les coupes.
Ô beaux jours passés ! terre amante, ciel époux !
Oh ! que le tremblement des branches était doux !
Les cyclopes jouaient de la flûte dans l’ombre.

La terre est aujourd’hui comme un radeau qui sombre.
Les dieux, ces parvenus, règnent, et, seuls debout,
Composent leur grandeur de la chute de tout.
Leur banquet resplendit sur la terre et l’affame.
Ils dévorent l’amour, l’âme, la chair, la femme,