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L’horizon est partout difforme maintenant ;
Pas un mont qui ne soit blessé ; l’Atlas saignant
Est noir sous l’assemblage horrible des nuées ;
Chalcis que les hiboux emplissent de huées,
La Thrace où l’on adore un vieux glaive rouillé,
L’Hémonie où l’éclair féroce a travaillé,
Sont de mornes déserts que la ruine encombre.
Une peau de satyre écorché pend dans l’ombre,
Car la lyre a puni la flûte au fond des bois.
La source aux pleurs profonds sanglote à demi-voix ;
Où sont les jours d’Évandre et les temps de Saturne ?
On s’aimait. On se craint. L’univers est nocturne ;
L’azur hait le matin, inutile doreur ;
L’ombre auguste et hideuse est pleine de terreur ;
On entend des soupirs étouffés dans les marbres ;
Des simulacres sont visibles sous les arbres,
Et des spectres sont là, signe d’un vaste ennui.
Les bois naguère étaient confiants, aujourd’hui
Ils ont peur, et l’on sent que leur tremblement songe
Aux autans, rauque essaim qui serpente et s’allonge
Et qui souvent remplit de trahisons l’éther ;
Car l’orage est l’esclave obscur de Jupiter.
Les cavernes des fils d’Inachus sont vacantes ;
Le grand Orphée est mort tué par les bacchantes ;
Seuls les dieux sont debout, formidables vivants,
Et la terre subit la sombre horreur des vents.