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De plus fort que ton flot terrible dont je ris ;
Car il ne se peut pas, ô gouffre aux tristes cris,
Qu’après avoir fondu les briques des fournaises,
Après s’être roulé sur la pourpre des braises,
Après avoir lassé les soufflets haletants,
Mon fauve airain soit tendre aux morsures du temps ;
Que moi qui brave, roi des vagues éblouies,
Le ruissellement vaste et farouche des pluies,
Moi qui l’été, l’hiver, me dresse sans savoir
Si la bourrasque est dure et si l’orage est noir,
Qui vois l’éclair à peine, ayant pour ordinaire
D’émousser sur ma peau de bronze le tonnerre,
Je sois vaincu, détruit, aboli, ruiné,
Par l’heure, égratignure au sein blanc de Phryné ;
Que jamais rien m’ébranle, et que, parce qu’il passe
Des astres au zénith, des zéphyrs dans l’espace,
Mes muscles, enviés par le granit souvent,
Se déforment ainsi qu’une nuée au vent ;
Et qu’une vaine année arrivant acharnée,
Et rapide, et prodigue, après une autre année,
Une saison venant après une saison,
Janvier remplaçant mai dans le vague horizon,
En soufflant sur les nids et sur les fleurs, dissipe
L’ouvrage de Charès, élève de Lysippe.

Je suis là pour jamais ; lève les yeux et vois
Sur ton front le colosse, ô mer aux rudes voix !