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Viennent autour de moi s’abattre, et mon visage
Les effraie, et devient sévère à leur passage ;
Le salut me connaît, moi le grand chandelier,
Ainsi que le chameau connaît le chamelier,
Le char Automédon et l’esquif Palinure ;
De même que la scie agrandit la rainure,
La proue en me voyant fend l’eau plus fièrement ;
Comme une fille craint son redoutable amant,
La mer au sein lascif, cette prostituée,
A peur de m’apporter quelque barque tuée ;
Et le flot, dont le pli roule un pauvre nocher,
En s’approchant de moi, tâche de le cacher ;
Je suis le dieu cherché par tout ce qui chancelle
Sur le frémissement de l’onde universelle ;
Le naufragé m’invoque en embrassant l’écueil ;
La nuit je suis cyclope, et le phare est mon œil ;
Rouge comme la peau d’un taureau qu’on écorche,
La ville semble un rêve aux lueurs de ma torche ;
Pour les marins perdus, c’est l’aurore qui point ;
Et je règne ; et le gouffre inquiet ne sait point
S’il doit japper de joie ou rugir de colère
Quand, jusqu’aux profondeurs les plus mornes, j’éclaire
L’immense tremblement de l’horizon confus.

Tais-toi, mer ! Je serai toujours ce que je fus.
Car il ne se peut pas qu’en ma sombre aventure
J’aie à combattre rien dans toute la nature