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Le jour luit, l’ouragan s’endort ou s’exaspère,
Et, gardien de l’eau bleue en son brumeux repaire,
Sentinelle que nul ne viendra relever,
Je regarde la nuit venir, l’aube arriver,
La voile fuir, le flot hurler comme un molosse,
Avec la rêverie immense du colosse.

Ô tristes mers, l’airain c’est l’immobilité ;
L’airain, ô large gouffre à jamais agité,
C’est la victoire ; il sort de la forge géante ;
Il a Vulcain pour père, ou Lysippe, ou Cléanthe,
Ou Phidias ; il sort, fier, vivant ; après quoi,
Il monte au piédestal comme à son trône un roi,
Et s’empare du temps et de la solitude ;
Et l’airain, c’est le calme, ô vaste inquiétude.

Lui l’immuable, il fut à son heure orageux ;
Dans tes fixes écueils, dans tes rapides jeux,
Tu ne lui montres rien, ô mer, qu’il ne connaisse ;
Il t’égale en durée, il t’égale en jeunesse ;
Il a rongé la cuve ainsi que toi les ports ;
Étant le bronze, il est rocher comme tes bords,
Et flot comme ton onde, ayant été la lave.
Il est du piédestal le triomphal esclave,
Et le piédestal morne et soumis est son chien.