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Sur l’esquif et la barque et les fortes trirèmes
Une foule d’instants terribles ou suprêmes ;
Et pas une clarté pour dire : Ici le port !
Le gouffre, redoublant de tourmente et d’effort,
Vomissait sur les nefs, d’horreur exténuées,
Toute son épouvante et toutes ses nuées ;
Et les brusques écueils surgissaient ; et comment
S’enfuir dans ce farouche et noir déchirement ?
Et les marins perdus se courbaient sous l’orage ;
La mort leur laissait voir, comme un dernier mirage,
La terre s’éclipsant derrière les agrès,
Les maisons, les foyers pleins de tant de regrets,
Des fantômes d’enfants à genoux, et des rêves
De femmes se tordant les bras le long des grèves ;
On entendait crier de lamentables voix :
— Adieu, terre ! patrie, adieu ! collines, bois,
Village où je suis né, vallée où nous vécûmes !… —
Et tout s’engloutissait dans de vastes écumes,
Tout mourait ; puis le calme, ainsi que le jour naît,
Presque coupable et presque infâme, revenait ;
Le ciel, l’onde, achevaient en concert leur mêlée ;
L’hydre verte laissait luire l’hydre étoilée ;
L’océan se mettait, plein de morts, teint de sang,
À gazouiller ainsi qu’un enfant innocent ;
Cependant l’algue allait et venait dans les chambres
Des navires roulant au fond de l’eau leurs membres ;
Les bâtiments noyés rampaient au plus profond
Des flots qui savent seuls dans l’ombre ce qu’ils font.