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Je suis l’Olympien, je suis le Musagète ;
Tout ce qui vit, respire, aime, pense et végète,
Végète, pense, vit, aime et respire en moi ;
L’encens monte à mes pieds mêlé d’un vague effroi ;
L’angle de mon sourcil touche à l’axe du monde ;
La tempête me parle avant de troubler l’onde ;
Je dure sans vieillir, j’existe sans souffrir ;
Je ne sais qu’une chose impossible, mourir.
J’ai sur mon front, que l’ombre en reculant adore,
La bandelette bleue et rose de l’aurore.
Ô mortels effrénés, emportés, hagards, fous,
L’urne des jours me lave en vous noircissant tous ;
À mesure qu’au fond des nuits et sous la voûte
Du temps d’où l’instant suinte et tombe goutte à goutte,
Les siècles, partant l’un après l’autre, s’en vont,
Ainsi que des oiseaux volant sous un plafond,
Hébé plus fraîche rit en mes hautes demeures ;
Ma jeunesse renaît sous le baiser des heures ;
J’empêche, en abaissant mon sceptre lentement
Vers le trou monstrueux plein du triple aboîment,
Cerbère de saisir les astres dans sa gueule ;
La chaîne du destin immuable peut seule
Meurtrir ma main égale à tout l’effort des dieux ;
Mon temple offre son mur au nid mélodieux ;
Et c’est du vol de l’aigle et du vol de la foudre,
C’est du cri de l’enfer tremblant de se dissoudre,