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— Gloire à Sémiramis la fatale ! Elle mit
Sur ses palais nos fleurs sans nombre où l’air frémit.
Gloire ! en l’épouvantant elle éclaira la terre ;
Son lit fut formidable et son cœur solitaire ;
Et la mort avait peur d’elle en la mariant.
La lumière se fit spectre dans l’Orient,
Et fut Sémiramis. Et nous, les arbres sombres
Qui, tandis que les toits s’écroulent en décombres,
Grandissons, rajeunis sans cesse et reverdis,
Nous que sa main posa sur ce sommet jadis,
Nous saluons au fond des nuits cette géante ;
Notre verdure semble une ruche béante
Où viennent s’engouffrer les mille oiseaux du ciel ;
Nos bleus lotus penchés sont des urnes de miel ;
Nos halliers, tout chargés de fleurs rouges et blanches,
Composent, en mêlant confusément leurs branches,
En inondant de gomme et d’ambre leurs sarments,
Tant d’embûches, d’appeaux et de pièges charmants,
Et de filets tressés avec les rameaux frêles,
Que le printemps s’est pris dans cette glu les ailes,
Et rit dans notre cage et ne peut plus partir.
Nos rosiers ont l’air peints de la pourpre de Tyr ;
Nos murs prodigieux ont cent portes de cuivre ;
Avril s’est fait titan pour nous et nous enivre
D’âcres parfums qui font végéter le caillou,
Vivre l’herbe, et qui font penser l’animal fou,
Et qui, quand l’homme vient errer sous nos pilastres,
Font soudain flamboyer ses yeux comme des astres ;