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Venez donc à moi, foule, et, sur mes saintes marches,
Mêlez vos cœurs, jetez vos lois, posez vos arches ;
Hommes, devenez tous frères en admirant ;
Réconciliez-vous devant le pur, le grand,
Le chaste, le divin, le saint, l’impérissable ;
Car, ainsi que l’eau coule et comme fuit le sable,
Les ans passent, mais moi je demeure ; je suis
Le blanc palais de l’aube et l’autel noir des nuits ;
Quand l’aurore apparaît, je ris, doux édifice ;
Le soir, l’horreur m’emplit ; un sombre sacrifice
Semble en mes profondeurs muettes s’apprêter ;
De derrière mon faîte, on voit la nuit monter
Ainsi qu’une fumée avec mille étincelles.
Tous les oiseaux de l’air m’effleurent de leurs ailes,
Hirondelles, faisans, cigognes au long cou ;
Mon fronton n’a pas plus la crainte du hibou
Que Calliope n’a la crainte de Minerve.
Tous ceux que Sybaris voluptueuse énerve
N’ont qu’à franchir mon seuil d’austérité vêtu
Pour renaître, étonnés, à la forte vertu ;
Sous ma crypte en entend chuchoter la sibylle ;
Parfois, troublé soudain dans sa brume immobile,
Le plafond, où des mots de l’ombre sont écrits,
Tremble à l’explosion tragique de ses cris ;
Sur ma paroi secrète et terrible, l’augure
Du souriant Olympe entrevoit la figure,
Et voit des mouvements confus et radieux
De visages qui sont les visages des dieux ;