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Moi, je suis l’âme, et vous, vous êtes les démons.
Je descends des géants qui, marchant sur les monts,
Et les pressant du pied, faisaient jaillir des marbres
Les sources au-dessus desquelles sont les arbres.
Puisqu’autour du sommet superbe, tout s’éteint,
Puisque la bête brute, en son auguste instinct,
Proteste, alors que l’homme à plat ventre se couche,
Ah ! puisque rien n’est libre à moins d’être farouche,
De mes noirs sangliers, de mes ours, de mes loups,
Vous n’approcherez pas, princes ; j’en suis jaloux.
Messeigneurs, savez-vous pourquoi ? C’est que ces bêtes
Ces êtres lourds et durs, ces monstres, sont honnêtes.
Ils n’ont pas de Séjan, ils n’ont pas de Rufin ;
Leur cruauté n’est pas le crime ; c’est la faim.
Vous, rois, dans vos festins, au bruit sacré des lyres,
Gais, couronnés de fleurs, échangeant des sourires,
Pour usurper un trône, ou même sans raison,
Vous vous versez les uns aux autres du poison ;
Vos poignards emmanchés de perles font des choses
Horribles, et, parmi les lauriers et les roses,
Teints de sang, vous restez éblouissants toujours ;
Moi, je choisis les loups, et j’aime mieux les ours ;
Et je préfère, rois qu’un vil cortége encense,
À vos crimes riants leur féroce innocence.
Allez-vous-en. — Fuyez. Quoi ! ne sentez-vous pas
Tout un hérissement fauve autour de vos pas !
Vous bravez donc, puissants aveugles, le murmure
Qui répond dans l’abîme au bruit de mon armure,