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Rôde, et, quand il s’arrête, il n’a plus dans les yeux
Qu’un vague reste obscur de lueurs disparues,
Tant il songe et médite ! et les passants des rues,
Voyant ce noir rêveur qui vient on ne sait d’où,
Disent : C’est un génie ; et d’autres : C’est un fou.
L’un crie : Alighieri ! c’est lui ! c’est l’homme-fée
Qui revient des enfers comme en revint Orphée ;
Orphée a vu Pluton et Dante a vu Satan,
Il arrive de chez les morts ; Dante, va-t’en !
L’autre dit : Ce n’est pas Dante, c’est Jérémie.
La plainte a presque peur d’avoir été gémie,
Et se cache devant le vainqueur irrité ;
Mais cet homme est un tel spectre dans la cité
Qu’il semble effrayant même à la horde ennemie ;
Et pourtant ce n’est point Dante ni Jérémie ;
C’est simplement le vieux comte Félibien
Qui ne croit que le vrai, qui ne veut que le bien,
Et par qui fut fondé le collége de Sienne ;
Il porte haut la tête étant une âme ancienne,
Et fait trembler ; cet homme affronte les vainqueurs ;
Mais, dans l’écroulement des esprits et des cœurs,
On le hait ; le meilleur semble aux lâches le pire,
Et celui qui n’a pas d’épouvante en inspire.

Qu’importe à ce passant ? Dans ce vil guet-apens,
Les uns étant gisants et les autres rampants,
Les uns étant la tombe et les autres la foule,