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Thémistocle.

Prêtre, je sais cela. Mais la patrie existe.
Pour les vaincus, la lutte est un grand bonheur triste
Qu’il faut faire durer le plus longtemps qu’on peut.
Tâchons de faire au fil des Parques un tel nœud
Que leur fatal rouet déconcerté s’arrête.
Ici nous couvrons tout, de l’Eubée à la Crète ;
C’est donc ici qu’il faut frapper ce roi, contraint
De confier sa flotte au détroit qui l’étreint ;
Nous sommes peu nombreux, mais profitons de l’ombre ;
La grande audace peut cacher le petit nombre,
Et d’ailleurs à la mort nous irons radieux.
Montrons nos cœurs vaillants à ce grand ciel plein d’yeux.
Si l’abîme est obscur, les étoiles sont claires ;
Les heures noires sont de bonnes conseillères,
Ô rois, et je reçois volontiers de la nuit
L’avis sombre qui fait que l’ennemi s’enfuit.
Par le tombeau béant je me laisse convaincre ;
Consentir à mourir c’est consentir à vaincre ;
La tombe est la maison du pâle sphinx guerrier
Qui promet un cyprès et qui donne un laurier ;
Elle se ferme au brave osant heurter sa porte ;
Car, devant un héros, la mort est la moins forte.