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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Et de larges bûchers fumaient, et des tronçons
D’êtres sciés en deux rampaient dans les tisons ;
Et le vaste étouffeur des plaintes et des râles,
L’Océan, échouait dans les nuages pâles
D’affreux sacs noirs faisant des gestes effrayants ;
Et ce chaos de fronts hagards, de pas fuyants,
D’yeux en pleurs, d’ossements, de larves, de décombres,
Ce brumeux tourbillon de spectres, et ces ombres
Secouant des linceuls, et tous ces morts, saignant
Au loin, d’un continent à l’autre continent,
Pendant aux pals, cloués aux croix, nus sur les claies,
Criaient, montrant leurs fers, leur sang, leurs maux, leurs plaies :

« C’est Mourad ! c’est Mourad ! justice, ô Dieu vivant ! »

À ce cri, qu’apportait de toutes parts le vent,
Les tonnerres jetaient des grondements étranges,
Des flamboiements passaient sur les faces des anges,
Les grilles de l’enfer s’empourpraient, le courroux
En faisait remuer d’eux-mêmes les verrous,
Et l’on voyait sortir de l’abîme insondable
Une sinistre main qui s’ouvrait formidable ;
« Justice ! » répétait l’ombre ; et le châtiment
Au fond de l’infini se dressait lentement.