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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Je suis le Conquérant ; mon nom est établi
Dans l’azur des cieux, hors de l’ombre et de l’oubli ;
Et mon bras porte un tas de foudres qu’il secoue ;
Mes exploits fulgurants passent comme une roue ;
Je vis ; je ne suis pas ce qu’on nomme un mortel ;
Mon trône vieillissant se transforme en autel ;
Quand le moment viendra que je quitte la terre,
Étant le jour, j’irai rentrer dans la lumière ;
Dieu dira : « Du sultan je veux me rapprocher. »
L’aube prendra son astre et viendra me chercher.
L’homme m’adore avec des faces d’épouvante ;
L’Orgueil est mon valet, la Gloire est ma servante ;
Elle se tient debout quand Zizimi s’assied ;
Je dédaigne et je hais les hommes ; et mon pied
Sent le mou de la fange en marchant sur leurs nuques.
À défaut des humains, tous muets, tous eunuques,
Tenez-moi compagnie, ô sphinx qui m’entourez
Avec vos noms joyeux sur vos têtes dorées,
Désennuyez le roi redoutable qui tonne ;
Qua ma splendeur en vous autour de moi rayonne ;
Chantez-moi votre chant de gloire et de bonheur ;
Ô trône triomphal dont je suis le seigneur,
Parle-moi ! Parlez-moi, sphinx couronnés de roses ! »

Alors les sphinx, avec la voix qui sort des choses,
Parlèrent : tels ces bruits qu’on entend en dormant.