Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 1.djvu/245

Cette page a été validée par deux contributeurs.
219
ÉVIRADNUS.

Est-ce que tu n’as pas des ongles, vil troupeau,
Pour ces démangeaisons d’empereurs sur ta peau !
Du reste, en voilà deux de pris ; deux âmes telles
Que l’enfer même rêve étonné devant elles !
Sigismond, Ladislas, vous étiez triomphants,
Splendides, inouïs, prospères, étouffants ;
Le temps d’être punis arrive ; à la bonne heure.
Ah ! le vautour larmoie et le caïman pleure.
J’en ris. Je trouve bon qu’à de certains instants,
Les princes, les heureux, les forts, les éclatants,
Les vainqueurs, les puissants, tous les bandits suprêmes,
À leurs fronts cerclés d’or, chargés de diadèmes,
Sentent l’âpre sueur de Josaphat monter.
Il est doux de voir ceux qui hurlaient, sangloter.
La peur après le crime ; après l’affreux, l’immonde.
C’est bien. Dieu tout-puissant ! quoi, des maîtres du monde,
C’est ce que, dans la cendre et sous mes pieds, j’ai là !
Quoi, ceci règne ! Quoi, c’est un césar, cela !
En vérité, j’ai honte, et mon vieux cœur se serre
De les voir se courber plus qu’il n’est nécessaire.
Finissons. Ce qui vient de se passer ici,
Princes, veut un linceul promptement épaissi ;
Ces mêmes dés hideux qui virent le Calvaire,
Ont roulé, dans mon ombre indignée et sévère,
Sur une femme, après avoir roulé sur Dieu.
Vous avez joué là, rois, un lugubre jeu.
Mais, soit. Je ne vais pas perdre à de la morale
Ce moment que remplit la brume sépulcrale.