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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Le métal fait reluire, en reflets durs et froids,
Sa grande larme au mufle obscur des palefrois ;
De ces spectres pensifs l’odeur des temps s’exhale ;
Leur ombre est formidable au plafond de la salle ;
Aux lueurs du flambeau frissonnant, au-dessus
Des blêmes cavaliers vaguement aperçus,
Elle remue et croît dans les ténébreux faîtes ;
Et la double rangée horrible de ces têtes
Fait, dans l’énormité des vieux combles fuyants,
De grands nuages noirs aux profils effrayants.

Et tout est fixe, et pas un coursier ne se cabre
Dans cette légion de la guerre macabre ;
Oh ! ces hommes masqués sur ces chevaux voilés,
Chose affreuse !

Chose affreuse ! À la brume éternelle mêlés,
Ayant chez les vivants fini leur tâche austère,
Muets, ils sont tournés du côté du mystère ;
Ces sphinx ont l’air, au seuil du gouffre où rien ne luit,
De regarder l’énigme en face dans la nuit,
Comme si, prêts à faire, entre les bleus pilastres,
Sous leurs sabots d’acier étinceler les astres,
Voulant pour cirque l’ombre, ils provoquaient d’en bas,
Pour on ne sait quels fiers et funèbres combats,
Dans le champ sombre où n’ose aborder la pensée,
La sinistre visière au fond des cieux baissée.