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LE JOUR DES ROIS.

Du dernier échelon de la souffrance humaine,
Si bas, que les heureux ne prennent pas la peine
D’ajouter sa misère à leur joyeux orgueil,
Ni les infortunés d’y confronter leur deuil ;
Penché sur le tombeau plein de l’ombre mortelle,
Il est comme un cheval attendant qu’on dételle ;
Abject au point que l’homme et la femme, les pas,
Les bruits, l’enterrement, la noce, les trépas,
Les fêtes, sans l’atteindre, autour de lui s’écoulent ;
Et le bien et le mal, sans le voir, sur lui roulent ;
Tout au plus raille-t-on ce gueux sur son fumier ;
Tout le tumulte humain, soldats au fier cimier,
Moines tondus, l’amour, le meurtre, la bataille,
Ignore cette cendre ou rit de cette paille ;
Qu’est-il ? Rien, ver de terre, ombre ; et même l’ennui
N’a pas le temps de perdre un coup de pied sur lui.
Il rampe entre la chose et la bête de somme ;
Tibère, sans marcher dessus, verrait cet homme,
Cet être obscur, infect, pétrifié, dormant,
Ne valant pas l’effort de son écrasement ;
Celui qui le voit, dit : « C’est l’idiot ! » et passe ;
Son regard fixe semble effaré par l’espace ;
Infirme, il ne pourrait manier des outils ;
C’est un de ces vivants lugubres, engloutis
Dans cette extrémité de l’ombre où se termine
La maladie en lèpre et l’ordure en vermine.
C’est à lui que les maux en bas sont limités ;
Du rendez-vous des deuils et des calamités