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LA LÉGENDE DES SIÈCLES

Le louche point du jour de la morne saison,
Par places, dans le large et confus horizon,
Brille, aiguise un clocher, ébauche un monticule ;
Et la plaine est obscure, et dans le crépuscule
L’Egba, l’Arga, le Cil, tous ces cours d’eau rampants,
Font des fourmillements d’éclairs et de serpents ;
Le bourg Chagres est là près de sa forteresse.


II



Le mendiant du pont de Crassus, où se dresse
L’autel d’Hercule offert aux Jeux Aragonaux,
Est, comme à l’ordinaire, entre deux noirs créneaux,
Venu s’asseoir, tranquille et muet, dès l’aurore.
La larve qui n’est plus ou qui n’est pas encore
Ressemble à ce vieillard, spectre aux funèbres yeux,
Grelottant dans l’horreur d’un haillon monstrueux ;
C’est le squelette ayant faim et soif dans la tombe.
Dans ce siècle où sur tous l’esclavage surplombe,
Où tout être, perdu dans la nuit, quel qu’il soit,
Même le plus petit, même le plus étroit,
Offre toujours assez de place pour un maître,
Où c’est un tort de vivre, où c’est un crime d’être,
Ce pauvre homme est chétif au point qu’il est absous ;
Il habite le coin du néant, au-dessous