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La guerre était sacrée et sainte en ce temps-là ;
Rien n’égalait Nemrod si ce n’est Attila ;
Et les hommes, depuis les premiers jours du monde,
Sentant peser sur eux la misère inféconde,
Les pestes, les fléaux lugubres et railleurs,
Cherchant quelque moyen d’amoindrir leurs douleurs,
Pour établir entre eux de justes équilibres,
Pour être plus heureux, meilleurs, plus grands, plus libres,
Plus dignes du ciel pur qui les daigne éclairer,
Avaient imaginé de s’entre-dévorer.
Ce sinistre vaisseau les aidait dans leur œuvre.
Lourd comme le dragon, prompt comme la couleuvre,
Il couvrait l’Océan de ses ailes de feu ;
La terre s’effrayait quand sur l’horizon bleu
Rampait l’allongement hideux de sa fumée,
Car c’était une ville et c’était une armée ;
Ses pavois fourmillaient de mortiers et d’affûts,
Et d’un hérissement de bataillons confus ;
Ses grappins menaçaient ; et, pour les abordages,
On voyait sur ses ponts des rouleaux de cordages
Monstrueux, qui semblaient des boas endormis ;
Invincible, en ces temps de frères ennemis,
Seul, de toute une flotte il affrontait l’émeute,
Ainsi qu’un éléphant au milieu d’une meute ;
La bordée à ses pieds fumait comme un encens,
Ses flancs engloutissaient les boulets impuissants,