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neige ! Anaxagoras enseignait que la neige est noire. Il avait raison, froideur étant noirceur. La glace, c’est la nuit. Quelle bourrasque ! Je me représente l’agrément de ceux qui sont en mer. L’ouragan, c’est le passage des satans, c’est le hourvari des brucolaques galopant et roulant tête bêche, au-dessus de nos boîtes osseuses. Dans la nuée, celui-ci a une queue, celui-là a des cornes, celui-là a une flamme pour langue, cet autre a des griffes aux ailes, cet autre a une bedaine de lord-chancelier, cet autre a une caboche d’académicien, on distingue une forme dans chaque bruit. À vent nouveau, démon différent ; l’oreille écoule, l’œil voit, le fracas est une figure. Parbleu, il y a des gens en mer, c’est évident. Mes amis, tirez-vous de la tempête, j’ai assez à faire de me tirer de la vie. Ah çà, est-ce que je tiens auberge, moi ? Pourquoi est-ce que j’ai des arrivages de voyageurs ? La détresse universelle a des éclaboussures jusque dans ma pauvreté. Il me tombe dans ma cabane des gouttes hideuses de la grande boue humaine. Je suis livré à la voracité des passants. Je suis une proie. La proie des meurt-de-faim. L’hiver, la nuit, une cahute