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l’angoisse. Le naufrage, qu’ils avaient laissé derrière eux, reparaissait devant eux. L’écueil ressortait du fond de la mer. Il n’y avait rien de fait.

Les Casquets sont un gaufrier à mille compartiments, l’Ortach est une muraille. Naufrager aux Casquets, c’est être déchiqueté ; naufrager à l’Ortach, c’est être broyé.

Il y avait une chance pourtant.

Sur les fronts droits, et l’Ortach est un front droit, la vague, pas plus que le boulet, n’a de ricochets. Elle est réduite au jeu simple. C’est le flux, puis le reflux. Elle arrive lame et revient houle.

Dans des cas pareils, la question de vie et de mort se pose ainsi : si la lame conduit le bâtiment jusqu’au rocher, elle l’y brise, il est perdu ; si la houle revient avant que le bâtiment ait touché, elle le remmène, il est sauvé.

Anxiété poignante. Les naufragés apercevaient dans la pénombre le grand flot suprême venant à eux. Jusqu’où allait-il les traîner ? Si le flot brisait au navire, ils étaient roulés au roc et fracassés. S’il passait sous le navire…