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Dans l’ombre infinie et indéfinie, il y a quelque chose, ou quelqu’un, de vivant ; mais ce qui est vivant là fait partie de notre mort. Après notre passage terrestre, quand cette ombre sera pour nous de la lumière, la vie qui est au delà de notre vie nous saisira. En attendant, il semble qu’elle nous tâte. L’obscurité est une pression. La nuit est une sorte de mainmise sur notre âme. À de certaines heures hideuses et solennelles nous sentons ce qui est derrière le mur du tombeau empiéter sur nous.

Jamais cette proximité de l’inconnu n’est plus palpable que dans les tempêtes de mer. L’horrible s’y accroît du fantasque. L’interrupteur possible des actions humaines, l’antique Assemble-nuages, a là à sa disposition, pour pétrir l’événement comme bon lui semble, l’élément inconsistant, l’incohérence illimitée, la force diffuse sans parti pris. Ce mystère, la tempête, accepte et exécute, à chaque instant, on ne sait quels changements de volonté, apparents ou réels.

Les poètes ont de tout temps appelé cela le caprice des flots.