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                           VIII

Ils gisent dans le champ terrible et solitaire.
Leur sang fait une mare affreuse sur la terre ;
Les vautours monstrueux fouillent leur ventre ouvert ;
Leurs corps farouches, froids, épars sur le pré vert,
Effroyables, tordus, noirs, ont toutes les formes
Que le tonnerre donne aux foudroyés énormes ;
Leur crâne est à la pierre aveugle ressemblant ;
La neige les modèle avec son linceul blanc ;
On dirait que leur main lugubre, âpre et crispée,
Tâche encor de chasser quelqu’un à coups d’épée ;
Ils n’ont pas de parole, ils n’ont pas de regard ;
Sur l’immobilité de leur sommeil hagard
Les nuits passent ; ils ont plus de chocs et de plaies
Que les suppliciés promenés sur des claies ;
Sous eux rampent le ver, la larve et la fourmi ;
Ils s’enfoncent déjà dans la terre à demi
Comme dans l’eau profonde un navire qui sombre ;
Leurs pâles os, couverts de pourriture et d’ombre,