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Nous sommes deux au fond de mon esprit, lui, moi.
Il est mon seul espoir et mon unique effroi.
Si par hasard je rêve une faute que j’aime,
Un profond grondement s’élève dans moi-même ;
Je dis : Qui donc est là ? l’on me parle ? Pourquoi ?
Et mon âme en tremblant me dit : C’est Dieu. Tais-toi.

                           *

Quoi ! nier le progrès terrestre auquel adhère
Le vaste mouvement du monde solidaire ?
Non, non ! s’il arrivait que ce Dieu me trompât,
Et qu’il mit l’espérance en moi comme un appât
Pour m’attirer au piège, et me prendre, humble atome,
Entre le présent, songe, et l’avenir, fantôme ;
S’il n’avait d’autre but qu’une dérision ;
Moi l’œil sincère et lui la fausse vision,
S’il me leurrait de quelque exécrable mirage ;
S’il offrait la boussole et donnait le naufrage ;
Si par ma conscience il faussait ma raison ;
Moi qui ne suis qu’un peu d’ombre sur l’horizon,
Moi, néant, je serais son accusateur sombre ;
Je prendrais à témoin les firmaments sans nombre,
J’aurais tout l’infini contre ce Dieu, je croi
Que les gouffres prendraient fait et cause pour moi ;
Contre ce malfaiteur j’attesterais les astres ;