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La victoire devant la conscience fuit
Et se cache, de peur que le ciel ne la voie.
L’énigme qu’il faudrait sonder, on la foudroie ;
Mais que voulez-vous donc, sages pareils aux fous,
Que l’avenir devienne et qu’il fasse de vous,
Si vous ne lui montrez que haine, et si vous n’êtes
Bons qu’à le recevoir à coups de bayonnettes ?
L’utopie est livrée au juge martial.
La faim, la pauvreté, l’obscur loup social
Mordant avec le pain la main qui le présente,
L’ignorance féroce, idiote, innocente,
Les misérables noirs, sinistrement moqueurs,
Et la nuit des esprits d’où naît la nuit des cœurs,
Tout est là devant nous, douleurs, familles blêmes ;
Et nous avons recours, contre tous ces problèmes,
Au sombre apaisement que sait faire la mort.
Mais ces hommes qu’on tue ont tué ; c’est le sort
Qui leur rend coup pour coup, et, sanglants, les supprime…
Est-ce qu’on remédie au crime par le crime ?
Est-ce que l’assassin doit être assassiné ?
Vers l’auguste idéal, d’aurore illuminé,
Vers le bonheur, la vie en fleurs, l’éden candide,
Qu’on nous mène, et nous prenons pour guide
Méduse, glaive au poing, l’œil en feu, le sein nu !
Hélas, le cimetière est un puits inconnu ;
Ce qu’on y jette tombe en des cavités sombres ;
Ce sont des ossements qu’on ajoute aux décombres ;
Morne ensemencement d’où la mort renaîtra.