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L'année terrible.

L’univers m’appartient, je le veux, il me plaît ;
Ce noir globe étoilé tient sous mon gobelet.
J’escamotai la France, escamotons l’Europe.
Décembre est mon manteau, l’ombre est mon enveloppe ;
Les aigles sont partis, je n’ai que les faucons ;
Mais n’importe ! Il fait nuit. J’en profite. Attaquons.

Or il faisait grand jour. Jour sur Londres, sur Rome,
Sus Vienne, et tous ouvraient les yeux, hormis cet homme ;
Et Berlin souriait et le guettait sans bruit.
Comme il était aveugle il crut qu’il faisait nuit.
Tous voyaient la lumière et seul il voyait l’ombre.

Hélas ! sans calculer le temps, le lieu, le nombre,
A tâtons, se fiant au vide, sans appui,
Ayant pour sûreté ses ténèbres à lui,
Ce suicide prit nos fiers soldats, l’armée
De France devant qui marchait la renommée,
Et sans canons, sans pain, sans chefs, sans généraux,
Il conduisit au fond du gouffre les héros.
Tranquille, il les mena lui-même dans le piège.

— Où vas-tu ? dit la tombe. Il répondit : que sais-je ?