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AOUT.

Pie et Galantuomo sont à couteaux tirés ;
Comme deux boucs livrant bataille dans les prés,
L’Angleterre et l’Irlande à grand bruit se querellent ;
D’Espagne sur Cuba les coups de fusil grêlent ;
Joseph, pseudo-César, Wilhelm, piètre Attila,
S’empoignent aux cheveux ; je mettrai le holà ;
Et moi, l’homme éculé d’autrefois, l’ancien pitre,
Je serai, par-dessus tous les sceptres, l’arbitre ;
Et j’aurai cette gloire, à peu près sans débats,
D’être le Tout-Puissant et le Très-Haut d’en bas.
De faux Napoléon passer vrai Charlemagne,
C’est beau. Que faut-il donc pour cela ? prier Magne
D’avancer quelque argent à Lebœuf, et choisir,
Comme Haroun escorté le soir par son vizir,
L’heure obscure où l’on dort, où la rue est déserte,
Et brusquement tenter l’aventure ; on peut, certe,
Passer le Rhin ayant passé le Rubicon.
Piétri me jettera des fleurs de son balcon.
Magnan est mort, Frossard le vaut ; Saint-Arnaud manque,
J’ai Bazaine. Bismarck me semble un saltimbanque ;
Je crois être aussi bon comédien que lui.
Jusqu’ici j’ai dompté le hasard ébloui ;
J’en ai fait mon complice, et la fraude est ma femme.
J’ai vaincu, quoique lâche, et brillé, quoique infâme.
En avant ! j’ai Paris, donc j’ai le genre humain.
Tout me sourit, pourquoi m’arrêter en chemin ?
Il ne me reste plus à gagner que le quine.
Continuons, la chance étant une coquine.