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L’enchaîner, pour se mettre en liberté lui-même.
L’homme prend la nature énorme corps à corps ;
Mais comme elle résiste ! elle abat les plus forts.
Derrière l’inconnu la nuit se barricade ;
Le monde entier n’est plus qu’une vaste embuscade ;
Tout est piège ; le sphinx, avant d’être dompté,
Empreint son ongle au flanc de l’homme épouvanté ;
Par moments il sourit et fait des offres traîtres ;
Les savants, les songeurs, ceux qui sont les seuls prêtres,
Cèdent à ces appels funèbres et moqueurs ;
L’énigme invite, embrasse et brise ses vainqueurs ;
Les éléments, du moins ce qu’ainsi l’erreur nomme,
Ont des attractions redoutables sur l’homme ;
La terre au flanc profond tente Empédocle, et l’eau
Tente Jason, Diaz, Gama, Marco Polo,
Et Colomb que dirige au fond des flots sonores
Le doigt du cavalier sinistre des Açores ;
Le feu tente Fulton, l’air tente Montgolfier ;
L’homme fait pour tout vaincre ose tout défier.
Maintenant regardez les cadavres. La somme
De tous les combattants que le progrès consomme
Etonne le sépulcre et fait rêver la mort.
Combien d’infortunés noyés dans leur effort
Pour atteindre à des bords nouveaux et fécondables !
Les découvertes sont des filles formidables
Qui dans leur lit tragique étouffent leurs amants.
O loi ! tous les tombeaux contiennent des aimants ;
Les grands cœurs ont l’amour lugubre du martyre,