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prologue.

De quelque Sixte-Quint baise à genoux la crosse,
Quand la cohue inepte, insensée et féroce,
Etouffe sous ses flots, d’un vent sauvage émus,
L’honneur dans Coligny, la raison dans Ramus,
Quand un poing monstrueux, de l’ombre où l’horreur flotte
Sort, tenant aux cheveux la tête de Charlotte
Pâle du coup de hache et rouge du soufflet,
C’est la foule ; et ceci me heurte et me déplaît ;
C’est l’élément aveugle et confus ; c’est le nombre ;
C’est la sombre faiblesse et c’est la force sombre.
Et que de cette tourbe il nous vienne demain
L’ordre de recevoir un maître de sa main,
De souffler sur notre âme et d’entrer dans la honte,
Est-ce que vous croyez que nous en tiendrons compte ?
Certes, nous vénérons Sparte, Athènes, Paris,
Et tous les grands forums d’où partent les grands cris ;
Mais nous plaçons plus haut la conscience auguste.
Un monde, s’il a tort, ne pèse pas un juste ;
Tout un océan fou bat en vain un grand cœur.
O multitude, obscure et facile au vainqueur,
Dans l’instinct bestial trop souvent tu te vautres,
Et nous te résistons ! Nous ne voulons, nous autres,
Ayant Danton pour père et Hampden pour aïeul,
Pas plus d’un tyran Tous que du despote Un Seul.
Voici le peuple : il meurt, combattant magnifique,
Pour le progrès ; voici la foule : elle en trafique ;
Elle mange son droit d’aînesse en ce plat vil
Que Rome essuie et lave avec Ainsi-soit-il !