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humain,
Vous y courrez. Oui, vous, grande nation noire,
Vous irez à l’émeute, à la lutte, à la gloire,
A l’épreuve, aux grands chocs, aux sublimes malheurs,
Aux révolutions, comme l’abeille aux fleurs !
Hélas ! vous tuez ceux par qui vous devez vivre.
Qu’importe la fanfare enflant ses voix de cuivre,
Ces guerres, ces fracas furieux, ces blocus !
Vous semblez nos vainqueurs, vous êtes nos vaincus.
Comme l’océan filtre au fond des madrépores,
Notre pensée en vous entre par tous les pores ;
Demain vous maudirez ce que nous détestons ;
Et vous ne pourrez pas vous en aller, Teutons,
Sans avoir fait ici provision de haine
Contre Pierre et César, contre l’omble et la chaîne ;
Car nos regards de deuil, de colère et d’effroi,
Passent par-dessus vous, peuple, et frappent le roi !
Vous qui fûtes longtemps la pauvre tourbe aveugle
Gémissant au hasard comme le taureau beugle,
Vous puiserez chez nous l’altière volonté
D’exister, et d’avoir au front une clarté ;
Et le ferme dessein n’aura rien de vulgaire
Que vous emporterez dans votre sac de guerre ;
Ce sera l’âpre ardeur de faire comme nous,
Et d’être tous égaux et d’être libres tous ;
Allemands, ce sera l’intention formelle
De foudroyer ce tas de trônes pêle-mêle,
De tendre aux nations la main, et de n’avoir
Pour maître que le droit, pour chef que le devoir ;