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BUG-JARGAL.
Vois-tu ? me dit-il. (Page 82.)
Vois-tu ? me dit-il. (Page 82.)

en sûreté. Je l’ai remise au camp des blancs, à l’un de vos parents, qui commande les avant-postes ; je voulais me rendre prisonnier, de peur qu’on ne sacrifiât en ma place les dix têtes qui répondent de la mienne. Ton parent m’a dit de fuir et de tâcher de prévenir ton supplice, les dix noirs ne devant être exécutés que si tu l’étais, ce que Biassou devait faire annoncer en arborant un drapeau noir sur la plus haute de nos montagnes. Alors j’ai couru, Rask m’a conduit, et je suis arrivé à temps, grâce au ciel ! Tu vivras et moi aussi. »

Il me tendit la main et ajouta :

« Frère, es-tu content ? »

Je le serrai de nouveau dans mes bras ; je le conjurai de ne plus me quitter, de rester avec moi parmi les blancs ; je lui promis un grade dans l’armée coloniale. Il m’interrompit d’un air farouche :

« Frère, est-ce que je te propose de t’enrôler parmi les miens ? »

Je gardai le silence, je sentais mon tort. Il ajouta avec gaieté :

« Allons, viens vite revoir et rassurer ta femme ! »

Cette proposition répondait à un besoin pressant de mon cœur ; je me levai ivre de bonheur ; nous partîmes. Le noir connaissait le chemin ; il marchait devant moi ; Rask nous suivait…

Ici d’Auverney s’arrêta et jeta un sombre regard autour de lui. La sueur coulait à grosses gouttes de son front. Il couvrit son visage avec sa main. Rask le regardait d’un air inquiet :