Page:Hugo - Bug-Jargal, 1876.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
BUG-JARGAL.
Marie jeta un cri et tomba dans mes bras. (Page 67.)
Marie jeta un cri et tomba dans mes bras. (Page 67.)

Il se redressa avec étonnement et, cherchant à deviner dans mes yeux si je parlais sérieusement :

« Comment ! dit-il, tu ne le connais donc pas ? »

Je répondis avec dédain :

« Je ne reconnais en lui qu’un esclave de mon oncle, nommé Pierrot. »

Biassou se remit à ricaner.

« Ha ! ha ! voilà qui est singulier ! Il demande ta vie et ta liberté, et tu l’appelles un monstre comme moi ! »

— Que m’importe ? répondis-je. Si j’obtenais un moment de liberté, ce ne serait pas pour lui demander ma vie, mais la sienne !

— Qu’est-ce que cela ? dit Biassou. Tu parais pourtant parler comme tu penses, et je ne suppose pas que tu veuilles plaisanter avec ta vie, Il y a là-dessous quelque chose que je ne comprends pas. Tu es protégé par un homme que tu hais ; il plaide pour ta vie, et tu veux sa mort ! Au reste, cela m’est égal, à moi. Tu désires un moment de liberté, c’est la seule chose que je puisse t’accorder ; je te laisserai libre de le suivre : donne-moi seulement d’abord ta parole d’honneur de venir te remettre dans mes mains deux heures avant le coucher du soleil. Tu es Français, n’est-ce pas ? »

Vous le dirai-je, messieurs ? la vie m’était à charge ; je répugnais d’ailleurs à la recevoir de ce Pierrot, que tant d’apparences désignaient à ma haine ; je ne sais pas si même il n’entra pas dans ma résolution la certitude que Biassou, qui ne lâchait pas aisément une proie, ne con-