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DEPUIS L’EXIL.
DISCOURS DE M. MADIER DE MONTJAU
au nom des proscrits du deux-décembre
Concitoyens,
Mesdames et concitoyennes,

Au lendemain du coup terrible du 22 mai, à l’un de ceux dont ce coup traversait le plus cruellement le cœur, un autre génie contemporain, un chantre illustre de l’art écrivait : « Devant la mort de cet immortel, nulle parole n’est à la hauteur du silence. » Que venons-nous donc faire à cette place d’où je m’adresse à vous ? Et celui qui vient de m’y précéder, et ceux qui m’y suivront, et moi-même ? Ajouter une feuille à la couronne de laurier que depuis si longtemps le monde a tressée pour le Maître, glorifier la gloire elle-même, illustrer cette illustration universelle et déjà presque séculaire, qui pourrait y songer, qui oserait le dire ?

Nous, nous venons tout simplement, modestement, humblement, je ne crains pas de le dire, payer à celui qui n’est plus la dette énorme de notre reconnaissance. Et vous, modernes poëtes, modernes écrivains dont il fut le vaillant pionnier, pour qui il ouvrit des voies nouvelles, à qui il fit entrevoir un immense horizon, et qui vous élevâtes dans un généreux essor, emportés sur les ailes de son inspiration ; et vous, représentants du Parlement et des Académies, qui dûtes tant de gloire à sa vaillante éloquence, aux œuvres de son grand esprit ; et vous tous patriotes qui m’écoutez, qui n’avez pas oublié la grandeur de celui qui porta si haut l’honneur de la France.

Entre tous, la dette reste immense, pour ceux-là surtout qui m’ont fait l’honneur de m’autoriser à parler ici en leur nom : les proscrits de 1851. Des proscrits de tous les temps, de toutes les heures douloureuses, comme de ceux-là, Victor Hugo fut en effet le champion traditionnel.

Enfant, il avait vu sa mère recueillir dans la maison paternelle ceux du premier empire. Jeune homme, dans son modeste gîte, il offrait un asile à ceux de la Restauration. Sous la monarchie de Juillet, il disputait victorieusement à l’échafaud la tête de notre cher Barbès. Et plus tard, s’il ne sauvait pas la tête de John Brown, du moins en la défendant il rendait la victime immortelle et flétrissait à jamais les défenseurs de l’esclavage sanglant.

Quand vint notre tour, quand, le cœur saignant de nos misères et de celles de la France, il nous fallut quitter cette patrie qu’on