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DEPUIS L’EXIL.

Sa fonction, à lui, ce fut la diffusion de la pensée nationale, par sa langue, cette langue claire et nette des traités diplomatiques, des souverains, dont il fit le verbe vivant et généreux de l’âme des peuples. Messieurs, ce qui assure encore à notre pays la suprématie dans le monde, c’est la littérature et l’art, c’est le roman, c’est le théâtre, c’est l’histoire, et aucun homme n’a plus fait pour la gloire de son pays que Victor Hugo, le plus grand des lyriques de France. Un jour, en un vers admirable, il a parlé du

geste auguste du semeur

secouant sur le monde « l’inépuisable poignée des vérités » ; il fut, lui, le semeur, le majestueux et sublime semeur de l’idée française !

Oui, ne l’oublions jamais, ce grand homme qui rêva, salua l’immense fraternité des peuples, a étroitement aussi, énergiquement et tendrement aimé la patrie, et après avoir dit à la France : « Sers l’humanité et deviens le monde, » son œuvre entière dit au monde : « Honore, respecte, acclame, remercie la France. »

Ainsi toute sa vie fut un combat. Lorsqu’il n’était encore que l’enfant sublime, celui qui devait être le sublime aïeul avait proclamé que le poëte a charge d’âmes et, en merveilleux artiste, en artiste souverain et inimitable, dans ces livres dont les titres chantent en toutes les mémoires, il opposa à la doctrine de l’art pour l’art, l’art pour le droit, l’art pour une foi, l’art pour la vérité, l’art pour le Dieu qu’il proclamait, pour l’humanité qu’il consolait, pour la patrie qu’il glorifiait !

À travers son œuvre, qui a toutes les tempêtes et tous les apaisements du grand nourricier l’Océan, un autre sentiment souffle comme une brise ou court plutôt comme le sang même des veines du poète, cette vertu dont on vous parlait tout à l’heure : la pitié. Il a toujours jeté sur les douleurs « le voie d’une idée consolante ». Il a partout cherché dans l’obscurité de la nature humaine la mélancolie latente et la vertu cachée, la fleur ignorée qu’un peu de bonté pouvait faire refleurir. Tout ce qui souffre a place dans sa vaste tendresse : Fantine et Marion purifiées par l’amour, Jean Valjean par le repentir, Triboulet châtié dans son cœur de père, Lucrèce dans ses entrailles de mère.

Il a pour les petits des caresses de lion ; l’orphelin, le pauvre, le marin, il les adopte comme le matelot des « Pauvres gens » recueille les épaves de la mer, et dans un sourire d’enfant Victor Hugo voit un monde de poésie, comme dans la larme d’une femme qui tombe il voit un monde de douleurs.

Voilà l’exemple que ce grand écrivain a donné à tous les écrivains. Il nous disait, un soir, en parlant d’un illustre homme de lettres qu’il aimait et qui venait de mourir : « Il fut grand, ce qui est