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DEPUIS L’EXIL.

Rappelons-nous ces vers admirables sur Paris :

Oh ! Paris est la Cité mère !
Paris est le lieu solennel
Où le tourbillon éphémère
Tourne sur un centre éternel.
.  .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Frère des Memphis et des Romes,
Il bâtit au siècle où nous sommes
Une Babel pour tous les hommes,
Un Panthéon pour tous les dieux.
.  .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Toujours Paris s’écrie et gronde.
Nul ne sait, question profonde,
Ce que perdrait le bruit du monde
Le jour où Paris se tairait.

En mai 1867, alors qu’il était en exil, éloigné de Paris depuis le crime du 2 Décembre, notre grand et illustre citoyen, examinant le rôle de notre chère cité par le monde, s’exprime ainsi : « La fonction de Paris, c’est la dispersion de l’idée, secouant sur le monde l’inépuisable poignée des vérités ; c’est là son devoir, et il le remplit. Faire son devoir est un droit. Paris est un semeur. Où sème-t-il ? Dans les ténèbres. Que sème-t-il ? Des étincelles. Tout ce qui, dans les intelligences éparses sur cette terre, prend feu çà et là et pétille est le fait de Paris. Le magnifique incendie du progrès, c’est Paris qui l’attise. Il y travaille sans relâche. Il y jette ce combustible : les superstitions, les fanatismes, les haines, les sottises, les préjugés. Toute cette nuit fait de la flamme, et grâce à Paris, chauffeur du bûcher sublime, monte et se dilate en clarté. De là le profond éclairage des esprits. Voilà trois siècles surtout que Paris triomphe dans ce lumineux épanouissement de la raison et qu’il prodigue la libre pensée aux hommes : au seizième siècle, par Rabelais ; au dix-septième, par Molière ; au dix-huitième, par Voltaire.

« Rabelais, Molière et Voltaire, cette trinité de la raison : Rabelais, le père ; Molière, le fils ; Voltaire, l’esprit ; ce triple éclat de rire : gaulois au seizième siècle, romain au dix-septième, cosmopolite au dix-huitième, c’est Paris. »

Qu’il me soit permis de compléter l’énumération faite par notre grand poète, et d’ajouter son nom à ceux de Rabelais, de Molière et de Voltaire. Ce nom de Victor Hugo sera évidemment donné à notre siècle par l’histoire.

Le dix-neuvième siècle s’appellera le siècle de Victor Hugo.

Après la chute de l’empire, au lendemain du désastre de Sedan et à la veille du siège, Victor Hugo s’empresse de rentrer à Paris