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DEPUIS L’EXIL. — 1877.

Corneille, le vieux Corneille, le grand Corneille, se sentant près de mourir, jetait cette superbe aspiration vers la gloire, ce grand et dernier cri, dans ce vers :

Au moment d’expirer, je tâche d’éblouir.

Eh bien ! messieurs, si l’on avait droit de parler après Corneille, et s’il m’était donné d’exprimer mon vœu suprême, je dirais, moi :

Au moment d’expirer, je tâche d’apaiser.


(Applaudissements prolongés, profonde émotion.)

Telle est, messieurs, la signification, tel est le sens, tel est le but de cette réunion, de cette agape fraternelle, dans laquelle il n’y a aucun sous-entendu, aucun malentendu. Rien que de grand, de bon, de généreux. (Salve d’applaudissements. — Oui ! oui !)

Nous tous qui sommes ici, poètes, philosophes, écrivains, artistes, nous avons deux patries, l’une la France, l’autre l’art. (Vifs applaudissements.)

Oui, l’art est une patrie ; c’est une cité que celle qui a pour citoyens éternels ces hommes lumineux, Homère, Eschyle, Sophocle, Aristophane, Théocrite, Plaute, Lucrèce, Virgile, Horace, Juvénal, Dante, Shakespeare, Rabelais, Molière, Corneille, Voltaire… (Cri unanime : — … Victor Hugo !)

Et c’est une cité moins vaste, mais aussi grande, celle que nous pouvons appeler notre histoire nationale, et qui compte des hommes non moins grands : Charlemagne, Roland, Duguesclin, Bayard, Turenne, Condé, Villars, Vauban, Hoche, Marceau, Kléber, Mirabeau. (Applaudissements répétés.)

Eh bien, mes chers confrères, mes chers hôtes, nous appartenons à ces deux cités. Soyons-en fiers, et permettez-moi de vous dire, en buvant à votre santé, que je bois à la santé de nos deux patries : — À la santé de la grande France ! et à la santé du grand art !