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MORT DE FRANÇOIS-VICTOR HUGO.
Messieurs,

Des deux fils de Victor Hugo, le plus jeune va rejoindre l’aîné. Il y a trois ans, ils étaient tous les deux pleins de vie. La mort, qui les avait séparés depuis, vient les réunir.

Lorsque leur père écrivait :

Aujourd’hui, je n’ai plus de tout ce que j’avais
Aujourd’Qu’un fils et qu’une fille,
Me voilà presque seul ! Dans cette ombre où je vais,
Aujourd’Dieu m’ôte la famille !

Lorsque ce cri d’angoisse sortait de son grand cœur déchiré :

Oh ! demeurez, vous deux qui me restez !…,
prévoyait-il que, pour lui, la nature serait à ce point inexorable ? Prévoyait-il que la maison sans enfants allait être la sienne ? — Comme si la destinée avait voulu, proportionnant sa part de souffrance à sa gloire, lui faire un malheur égal à son génie !

Ah ! ceux-là seuls comprendront l’étendue de ce deuil, qui ont connu l’être aimé que nous confions à la terre. Il était si affectueux, si attentif au bonheur des autres ! Et ce qui donnait à sa bonté je ne sais quel charme attendrissant, c’était le fond de tristesse dont témoignaient ses habitudes de réserve, ses manières toujours graves, son sourire toujours pensif. Rien qu’à le voir, on sentait qu’il avait souffert, et la douceur de son commerce n’en était que plus pénétrante.

Dans les relations ordinaires de la vie, il apportait un calme que son âge rendait tout à fait caractéristique. On aurait pu croire qu’en cela il était différent de son frère, nature ardente et passionnée ; mais ce calme cachait un pouvoir singulier d’émotion et d’indignation, qui se révélait toutes les fois qu’il y avait le mal à combattre, l’iniquité à flétrir, la vérité et le peuple à venger. (Applaudissements.)

Il était alors éloquent et d’une éloquence qui partait des entrailles. Rien de plus véhément, rien de plus pathétique, que les articles publiés par lui dans le Rappel sur l’impunité des coupables d’en haut comparée à la rigueur dont on a coutume de s’armer contre les coupables d’en bas. (Profonde émotion.)