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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

Un autre moment navrant, ç’a été quand Mme Charles Hugo a passé, prête à s’évanouir à chaque instant et si faible qu’on la portait plus qu’on ne la soutenait. Il y a deux ans, elle enterrait son mari ; hier, son beau-frère. Avec quel tendre dévouement et quelle admirable persévérance elle a soigné ce frère pendant cette longue maladie, passant les nuits, lui sacrifiant tout, ne vivant que pour lui, c’est ce que n’oublieront jamais le père ni les amis du mort. Elle a voulu absolument l’accompagner jusqu’au bout, et ne l’a quitté que lorsqu’on l’a arrachée de la tombe.

L’enterrement était au cimetière de l’Est. Le convoi a suivi les grands boulevards, puis le boulevard Voltaire.

Derrière le corbillard, marchait le père désolé. Lui aussi, ses amis auraient voulu qu’il s’épargnât ce supplice, rude à tous les âges. Mais Victor Hugo accepte virilement toutes les épreuves, il n’a pas voulu fuir celle-là, et c’était aussi beau que triste de voir derrière ce corbillard cette tête blanche que le sort a frappée tant de fois sans parvenir à la courber.

Derrière le père, venaient MM. Paul Meurice, Auguste Vacquerie, Paul Foucher, oncle du mort, et Léopold Hugo, son cousin. Puis le docteur Allix et M. Armand Gouzien, qui avaient bien le droit de se dire de la famille, après les soins fraternels qu’ils ont prodigués au malade.

Puis, les amis et les admirateurs du père, tous ceux, députés, journalistes, littérateurs, artistes, ouvriers, qui avaient voulu s’associer à ce grand deuil : MM. Gambetta, Crémieux, Eugène Pelletan, Arago, Spuller, Lockroy, Jules Simon, Alexandre Dumas, Flaubert, Nefftzer, Martin Bernard… mais il faudrait citer tout ce qui a un nom. Ce cortège innombrable passait entre deux haies épaisses qui couvraient les deux trottoirs du boulevard et qui n’ont pas cessé jusqu’au cimetière.

À mesure que le convoi avançait, une partie de la haie se détachait pour s’ajouter au cortège, qui grossissait de moment en moment et que la chaussée avait peine à contenir. Et quand cet énorme cortège est arrivé au cimetière, il l’a trouvé déjà plein d’une foule également innombrable, et ce n’est pas sans difficulté qu’on a pu faire ouvrir passage même au cercueil.

Le tombeau de famille de Victor Hugo n’ayant plus de place, hélas, on a déposé le corps dans un caveau provisoire. Quand il y a été descendu, il s’est fait un grand silence, et Louis Blanc a dit les belles et touchantes paroles qui suivent :