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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

Et c’est un temple, à moins que ce ne soit un antre.
Pourtant, eût-on pour soi l’armée et le sénat,
Ne point laisser de trace après l’assassinat,
Rajuster son exploit, bien laver la victoire,
Nettoyer le côté malpropre de la gloire,
Est prudent. Le sort a des retours tortueux,
Songez-y. — J’en conviens, vous êtes monstrueux ;
Vous et vos chanceliers, vous et vos connétables,
Vous êtes satisfaits, vous êtes redoutables ;
Vous avez, joyeux, forts, servis par ce qui nuit,
Entrepris le recul du monde vers la nuit ;
Vous faites chaque jour faire un progrès à l’ombre ;
Vous avez, sous le ciel d’heure en heure plus sombre,
Princes, de tels succès à nous faire envier
Que vous pouvez railler le vingt et un janvier,
Le quatorze juillet, le dix août, ces journées
Tragiques, d’où sortaient les grandes destinées ;
Que vous pouvez penser que le Rhin, ce ruisseau,
Suffit pour arrêter Jourdan, Brune et Marceau,
Et que vous pouvez rire en vos banquets sonores
De tous nos ouragans, de toutes nos aurores,
Et des vastes efforts des titans endormis.
Tout est bien ; vous vivez, vous êtes bons amis,
Rois, et vous n’êtes point de notre or économes ;
Vous en êtes venus à vous donner les hommes ;
Vous vous faites cadeau d’un peuple après souper ;
L’aigle est fait pour planer et l’homme pour ramper ;
L’Europe est le reptile et vous êtes les aigles ;
Vos caprices, voilà nos lois, nos droits, nos règles ;
La terre encor n’a vu sous le bleu firmament
Rien qui puisse égaler votre assouvissement ;
Et le destin pour vous s’épuise en politesses ;
Devant vos majestés et devant vos altesses
Les prêtres mettent Dieu stupéfait à genoux ;
Jamais rien n’a semblé plus éternel que vous ;
Votre toute-puissance aujourd’hui seule existe.