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À M. L. BIGOT, AVOCAT DE MAROTEAU.

J’entends garder les proportions, et je n’assimile les condamnés d’aujourd’hui aux gigantesques lutteurs d’autrefois qu’en ce point : eux aussi sont des combattants révolutionnaires ; à eux aussi on ne peut reprocher que des faits politiques ; l’histoire écartera d’eux ces qualifications, délits communs, crimes ordinaires ; et, en leur infligeant la peine capitale, que fait-on ? on rétablit l’échafaud politique.

Ceci est effrayant.

Pas en arrière. Démenti au progrès. Babeuf, Aréna, Ceracchi, Topino-Lebrun, Georges Cadoudal, Mallet, Lahorie, Guidai, Ney, Labédoyère, Didier, les frères Faucher, Pleignier, Carbonneau, Tolleron, les quatre sergents de la Rochelle, Alibeau, Cirasse, Charlet, Cuisinier, Orsini, reparaissent. Rentrée des spectres.

Retourner vers les ténèbres, faire rétrograder l’immense marche humaine, rien de plus insensé. En civilisation, on ne recule jamais que vers le précipice.

Certes, Rossel, Maroteau, Gaston Crémieux et les autres, ces créatures humaines en péril, cela m’émeut ; mais ce qui m’émeut plus encore, c’est la civilisation en danger.

Mais, reprend-on, c’est justement pour éviter le précipice que nous reculons. Vous le voyez derrière, nous le voyons devant. Pour nous comme pour vous, il s’agit du salut social. Vous le voyez dans la clémence, nous le voyons dans le châtiment.

Soit. J’accepte la discussion posée ainsi.

C’est la vieille querelle du juste et de l’utile. Nous avons pour nous le juste, cherchons si vous avez pour vous l’utile.

Voilà des condamnés à mort. Qu’en va-t-on faire ? Les exécuter ?

Il s’agit du salut public, dites-vous. Plaçons-nous à ce point de vue. De deux choses l’une : ou cette exécution est nécessaire, ou elle ne l’est pas.

Si elle n’est pas nécessaire, de quel nom la qualifier ? La