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AUX RÉDACTEURS DU RAPPEL.

sa main droite l’épée, et dans sa main gauche la hache. La mort a reparu, Janus épouvantable, avec ses deux faces de spectre, l’une qui est la guerre, l’autre qui est le supplice. On a entendu cet affreux cri : Représailles ! Le talion imbécile a été évoqué par la guerre étrangère et par la guerre civile. Œil pour œil, dent pour dent, province pour province. Le meurtre sous ses deux espèces, bataille et massacre, s’est rué d’abord sur la France, ensuite sur le peuple ; des européens ont conçu ce projet : supprimer la France, et des français ont machiné ce crime : supprimer Paris. On en est là.

Et au lieu de l’affirmation que veut ce siècle, c’est la négation qui est venue. L’échafaud, qui était une larve, est devenu une réalité ; la guerre, qui était un fantôme, est devenue une nécessité. Sa disparition dans le passé se complique d’une réapparition dans l’avenir ; en ce moment-ci les mères allaitent leurs enfants pour la tombe ; il y a une échéance entre la France et l’Allemagne, c’est la revanche ; la mort se nourrit de la mort ; on tuera parce qu’on a tué. Et, chose fatale, pendant que la revanche se dresse au dehors, la vengeance se dresse au dedans. La vindicte, si vous voulez. On a fait ce progrès, adosser les patients à un mur au lieu de les coucher sur une planche, et remplacer la guillotine par la mitrailleuse. Et tout le terrain qu’on croyait gagné est perdu, et le monstre qu’on croyait vaincu est victorieux, et le glaive règne sous sa double forme, hache du bourreau, épée du soldat ; de sorte qu’à cette minute sinistre où le commerce râle, où l’industrie périt, où le travail expire, où la lumière s’éteint, où la vie agonise, quelque chose est vivant, c’est la mort.

Ah ! affirmons la vie ! affirmons le progrès, la justice, la liberté, l’idéal, la bonté, le pardon, la vérité éternelle ! À cette heure la conscience humaine est à tâtons ; voilà ce que c’est que l’éclipse de la France. À Bruxelles, j’ai poussé ce cri : Clémence ! et l’on m’a jeté des pierres. Affirmons la France. Relevons-la. Rallumons-la. Rendons aux hommes