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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

Puisque vous me permettez de dire ma pensée chez vous, précisons la mission du journal, telle que je la comprends à l’heure qu’il est.

Le dix-neuvième siècle, augmentateur logique de la Révolution française, a engagé avec le passé deux batailles, une bataille politique et une bataille littéraire. De ces deux batailles, l’une, la bataille politique, livrée aux reflux les plus contraires, est encore couverte d’ombre ; l’autre, la bataille littéraire, est gagnée. C’est pourquoi il faut continuer le combat en politique et le cesser en littérature. Qui a vaincu et conquis doit pacifier. La paix est la dette de la victoire.

Donc faisons, au profit du progrès et des idées, la paix littéraire. La paix littéraire sera le commencement de la paix morale. Selon moi, il faut encourager tous les talents, aider toutes les bonnes volontés, seconder toutes les tentatives, compléter le courage par l’applaudissement, saluer les jeunes renommées, couronner les vieilles gloires. En faisant cela, on rehausse la France. Rehausser la France, c’est la relever. Grand devoir, je viens de le dire.

Ceci, je ne le dis pas pour un journal, ni pour un groupe d’écrivains, je le dis pour la littérature entière. Le moment est venu de renoncer aux haines et de couper court aux querelles. Alliance ! fraternité ! concorde ! La France militaire a fléchi, mais la France littéraire est restée debout. Ce magnifique côté de notre gloire que l’Europe nous envie, respectons-le.

Le dénigrement de nous-mêmes par nous-mêmes est détestable. L’étranger en profite. Nos déchirements et nos divisions lui donnent le droit insolent d’ironie. Quoi ! pendant qu’il nous mutile, nous nous égratignons ! Il nous fait pleurer et nous le faisons rire. Cessons cette duperie. Ni les allemands ni les anglais ne tombent dans cette faute. Voyez comme ils surfont leurs moindres renommées. Fussent-ils indigents, ils se déclarent opulents. Quant à nous, qui sommes riches, n’ayons pas l’air de pauvres. Là