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L’AMNISTIE AU SÉNAT.

toujours dit. Messieurs, la poursuite a été illimitée, l’amnistie ne doit pas être moindre. L’amnistie seule, l’amnistie totale, peut effacer ce procès fait à une foule, procès qui débute par trente-huit mille arrestations, dans lesquelles il y a huit cent cinquante femmes et six cent cinquante et un enfants de quinze ans, seize ans et dix-sept ans.

Est-il un seul de vous, messieurs, qui puisse aujourd’hui passer sans un serrement de cœur dans de certains quartiers de Paris ; par exemple, près de ce sinistre soulèvement de pavés encore visible au coin de la rue Rochechouart et du boulevard ? Qu’y a-t-il sous ces pavés ? Il y a cette clameur confuse des victimes qui va quelquefois si loin dans l’avenir. Je m’arrête ; je me suis imposé des réserves, et je ne veux pas les franchir ; mais cette clameur fatale, il dépend de vous de l’éteindre. Messieurs, depuis cinq ans l’histoire a les yeux fixés sur ce tragique sous-sol de Paris, et elle en entendra sortir des voix terribles tant que vous n’aurez pas fermé la bouche des morts et décrété l’oubli.

Après la justice, après la pitié, considérez la raison d’état. Songez qu’à cette heure les déportés et les expatriés se comptent par milliers, et qu’il y a de plus les innombrables fuites des innocents effrayés, énorme chiffre inconnu. Cette vaste absence affaiblit le travail national ; rendez les travailleurs aux ateliers ; on vous l’a dit éloquemment dans l’autre Chambre, rendez à nos industries parisiennes ces ouvriers qui sont des artistes ; faites revenir ceux qui nous manquent ; pardonnez et rassurez ; le conseil municipal n’évalue pas à moins de cent mille le nombre des disparus. Les sévérités qui frappent des populations réagissent sur la prospérité publique ; l’expulsion des maures a commencé la ruine de l’Espagne et l’expulsion des juifs l’a consommée ; la révocation de l’édit de Nantes a enrichi l’Angleterre et la Prusse aux dépens de la France. Ne recommencez pas ces irréparables fautes politiques.

Pour toutes les raisons, pour les raisons sociales, pour les raisons morales, pour les raisons politiques, votez