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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

possible qu’en défendant les familles j’ébranle la société, et comment il se fait que, parce que je plaide pour l’innocence, je sois l’avocat du crime !

Quoi ! parce que, voyant des infortunes inouïes et imméritées, de lamentables pauvretés, des mères et des épouses qui sanglotent, des vieillards qui n’ont même plus de grabats, des enfants qui n’ont même plus de berceaux, j’ai dit : me voilà ! que puis-je pour vous ? à quoi puis-je vous être bon ? et parce que les mères m’ont dit : rendez-nous nos fils ! et parce que les femmes m’ont dit : rendez-nous notre mari ! et parce que les enfants m’ont dit : rendez-nous notre père ! et parce que j’ai répondu : j’essaierai ! — j’ai mal fait ! j’ai eu tort !

Non ! vous ne le pensez pas, je vous rends cette justice. Aucun de vous ne le pense ici !

Eh bien ! j’essaie en ce moment.

Messieurs, écoutez-moi avec patience, comme on écoute celui qui plaide ; c’est le droit sacré de défense que j’exerce devant vous ; et si, songeant à tant de détresses et à tant d’agonies qui m’ont confié leur cause, dans la conviction de ma compassion, il m’arrive de dépasser involontairement les limites que je veux m’imposer, souvenez-vous que je suis en ce moment le porte-parole de la clémence, et que, si la clémence est une imprudence, c’est une belle imprudence, et la seule permise à mon âge ; souvenez-vous qu’un excès de pitié, s’il pouvait y avoir excès dans la pitié, serait pardonnable chez celui qui a vécu beaucoup d’années, que celui qui a souffert a droit de protéger ceux qui souffrent, que c’est un vieillard qui vous sollicite pour des femmes et pour des enfants, et que c’est un proscrit qui vous parle pour des vaincus. (Vive émotion sur tous les bancs.)

Messieurs, un profond doute est toujours mêlé aux guerres civiles. J’en atteste qui ? Le rapport officiel. Il avoue, page 2, que l’obscurité du mouvement (du 18 mars) permettait à chacun (je cite) d’entrevoir la réalisation de quelques idées, justes peut-être. C’est ce que nous avons