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L’AMNISTIE AU SÉNAT.

Par quelle fatalité en est-on venu à ceci que la question qui devrait le plus nous rapprocher soit maintenant celle qui nous divise le plus ?

Messieurs, permettez-moi d’élaguer de cette discussion tout ce qui est arbitraire. Permettez-moi de chercher uniquement la vérité. Chaque parti a ses appréciations, qui sont loin d’être des démonstrations ; on est loyal des deux côtés, mais il ne suffit pas d’opposer des allégations à des allégations. Quand d’un côté on dit : l’amnistie rassure, de l’autre on répond : l’amnistie inquiète ; à ceux qui disent : l’amnistie est une question française, on répond : l’amnistie n’est qu’une question parisienne ; à ceux qui disent : l’amnistie est demandée par les villes, on réplique : l’amnistie est repoussée par les campagnes. Qu’est-ce que tout cela ? Ce sont des assertions. Et je dis à mes contradicteurs : les nôtres valent les vôtres. Nos affirmations ne prouvent pas plus contre vos négations que vos négations ne prouvent contre nos affirmations. Laissons de côté les mots et voyons les choses. Allons, au fait. L’amnistie est-elle juste ? oui ou non.

Si elle est juste, elle est politique.

Là est toute la question.

Examinons.

Messieurs, aux époques de discorde, la justice est invoquée par tous les partis. Elle n’est d’aucun. Elle ne connaît qu’elle-même. Elle est divinement aveugle aux passions humaines. Elle est la gardienne de tout le monde et n’est la servante de personne. La justice ne se mêle point aux guerres civiles, mais elle ne les ignore pas, et elle y intervient. Et savez-vous à quel moment elle y arrive ?

Après.

Elle laisse faire les tribunaux d’exception, et, quand ils ont fini, elle commence.

Alors elle change de nom et elle s’appelle la clémence.

La clémence n’est autre chose que la justice, plus juste.