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DEPUIS L’EXIL. — PARIS.

j’ai écrit ce que j’ai à vous dire. Il convient d’ailleurs à mon âge de ne prononcer que des paroles pesées et réfléchies. Le sénat, je l’espère, approuvera cette prudence.

Du reste, et cela va sans dire, mes paroles n’engagent que moi.

Messieurs, après ces funestes malentendus qu’on appelle crises sociales, après les déchirements et les luttes, après les guerres civiles, qui ont ceci pour châtiment, c’est que souvent le bon droit s’y donne tort, les sociétés humaines, douloureusement ébranlées, se rattachent aux vérités absolues et éprouvent un double besoin, le besoin d’espérer et le besoin d’oublier.

J’y insiste ; quand on sort d’un long orage, quand tout le monde a, plus ou moins, voulu le bien et fait le mal, quand un certain éclaircissement commence à pénétrer dans les profonds problèmes à résoudre, quand l’heure est revenue de se mettre au travail, ce qu’on demande de toutes parts, ce qu’on implore, ce qu’on veut, c’est l’apaisement ; et, messieurs, il n’y a qu’un apaisement, c’est l’oubli.

Messieurs, dans la langue politique, l’oubli s'appelle amnistie.

Je demande l’amnistie.

Je la demande pleine et entière. Sans conditions. Sans restrictions. Il n’y a d’amnistie que l’amnistie.

L’oubli seul pardonne.

L’amnistie ne se dose pas. Demander : Quelle quantité d’amnistie faut-il ? c’est comme si l’on demandait : Quelle quantité de guérison faut-il ? Nous répondons : Il la faut toute.

Il faut fermer toute la plaie.

Il faut éteindre toute la haine.

Je le déclare, ce qui a été dit, depuis cinq jours, et ce qui a été voté, n’a modifié en rien ma conviction.

La question se représente entière devant vous, et vous avez le droit de l’examiner dans la plénitude de votre indépendance et de votre autorité.